Le Grand Sacre d’Angers - héritage et tradition de la fête-Dieu à la française
- Academia Christiana
- 29 mai 2024
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Jeudi prochain nous fêterons le Saint Sacrement ou fête-Dieu.
Cette fête datant du 13eme siècle est connue aujourd’hui dans toutes les paroisses catholiques par cette procession solennelle du Corps du Christ porté par le prêtre, sous un dais et suivi des fidèles chantant des cantiques jusqu'à un reposoir richement décoré.

Jusqu’au milieu du 20eme siècle se tenait une procession au Saint Sacrement dans une belle ville française dont le faste était réputé dans tout le pays et jusqu'en Europe. Il s’agissait du Grand Sacre d’Angers, qui s’est déroulé chaque année presque sans interruption du Moyen Age jusqu’en 1967, avec une interruption pendant la révolution. Institué en réparation de l’hérésie de Bérenger, le Grand Sacre réunissait chaque année des dizaines de milliers de catholiques, fidèles, clercs ou politiques, marchant en procession dans les rues d’Angers pour adorer Notre Seigneur dans le Très Saint-Sacrement, jusqu’à ce que la tempête du concile Vatican II ne jette cette antique tradition aux oubliettes.

Sa véritable origine remonte au Moyen Âge mais à une date précise inconnue, probablement en réparation de l’hérésie que Bérenger, archidiacre d’Angers, qui niait la présence réelle de Notre Seigneur dans le saint sacrement aux alentours de 1050. Plus vraisemblablement, elle apparaît au début du XIVe siècle, consécutivement à l’institution de la Fête-Dieu dans l’Église catholique. Elle trouva effectivement dans la ville d’Angers un mode d’expression particulier qui en fit sa renommée, au point que la Ville, qui l’organisait, en codifia le déroulement dès 1513. Sa renaissance au début du XIXe siècle accentua son caractère religieux qui s’amplifia au fil des décennies, dans une scénographie très appréciée et des plus éloquentes.

Lors de cette procession, tous les Angevins rivalisaient d’ingéniosité pour rendre cette procession vraiment belle, des artisans aux commerçants, du prévôt à l’évêque. Tout le monde participait à cette procession ; des vêtements civils ou religieux aux étendards, des tapisseries à l’orfèvrerie, des jonchées de fleurs au sol jusqu’aux décors des façades. La Ville et ses habitants étaient en fête. Jusqu’en 1791 et par ordre du maire, la société civile toute entière ouvrait la marche : toutes les corporations défilaient les unes derrière les autres possédant toutes un guidon de procession, sorte de statue faite avec la matière première du métier, représentant le saint patron de la corporation et montrant le savoir faire des ouvriers. Puis venaient les institutions officielles qui défilaient dans les rues de la ville richement ornées pour l’occasion. Portées à dos d’hommes, les douze « grosses torches » offertes par les métiers étaient la curiosité attendue. En effet, la disposition de personnages en cire disposés au milieu de décors raffinés illustrait chaque année un épisode nouveau de l’histoire sainte. Passés ces théâtres ambulants, passés les métiers et les ordres religieux, le chapitre de la cathédrale sortait, escortant le Saint Sacrement porté sous le dais au passage duquel chacun s’agenouillait. Pour clore cet impressionnant cortège, venaient le gouverneur d’Angers et l'intendant représentant le roi.

Durant l’Ancien Régime, les fabricants d’ornements utilisaient des étoffes dont l’usage s’applique tant à l’ameublement (tentures murales, rideaux et mobilier) qu’aux habits civils. Peu de tissages spécifiques à l’Église existent et le caractère sacré se note dans la forme des vêtements et dans leurs broderies ; le renouvellement des garnitures de mobilier et des tentures, ajouté à la disparition des vêtements profanes, confèrent à ces ornements antérieurs à la Révolution un intérêt supplémentaire. La conservation de ces vêtements religieux permet dans toute l’Europe d’étendre très largement la connaissance de l’art textile. Au XIXe siècle, des créations de qualité exceptionnelle sortiront d’ateliers prestigieux de Lyon, de Bruges et de Paris. Le spectaculaire enrichissement de broderies met au premier plan les réalisations des ornements des évêques d’Angers ; la mitre de Mgr Freppel (atelier Grossé à Bruges, 1884) et la chape de Mgr Rumeau (atelier Leroudier à Lyon, 1889) qui constituent des parangons de l’art de la broderie.

Cette procession est une véritable fête dans toute la ville d’Angers qui pour l’occasion se fait belle : les sols des rues, après avoir été nettoyés, disparaissent sous des motifs réalisés avec les fleurs cueillies dans les environs; les façades décrépies ou noircies se cachent derrière des draps tendus et piqués de fleurs naturelles, ou derrière des tapisseries que les riverains sont priés de sortir de leurs maisons ; enfin, le ciel lui-même ne saurait nuire à la procession et de grands velums (parfois les voiles des navires) sont tendus en travers des rues pour protéger de la pluie ou du soleil. Jusqu’au XXe siècle, les tapisseries qui forment le trésor de la cathédrale d’Angers tapissent les murs extérieurs de la cathédrale et de l’évêché. Cependant, à partir de 1850, seules les plus récentes (à partir du XVIIe siècle) voient le soleil, les plus précieuses comme la tenture de l’Apocalypse restant dans l’édifice. Dans l’abbatiale du Ronceray, au début du XVIe siècle, une tenture est commandée spécialement pour orner le chœur des religieuses : le sujet, unique en tapisserie, relate les miracles de l’Eucharistie. Certaines confréries du Saint Sacrement commandent des tentures: celle de Saint-Pierre de Saumur passe contrat en 1542 pour une tapisserie de chœur relatant dix épisodes de la vie de saint Pierre, ponctués par ses armoiries formées d’un calice et d’une hostie
Avec l’évolution de l’urbanisme au XIXe siècle et l’apparition d'immeubles, la décoration de la ville devient plus difficile. De 1877 à 1921, Louis de Farcy conçoit des reposoirs d’abord éphémères puis en maçonnerie qui s’élèvent sur le Tertre Saint Laurent, diffusant ainsi des modèles de décors s’inspirant de l’art médiéval. Ainsi, toute personne peut acheter des modèles en papier imprimé, parfois polychrome, qu’il suffit de découper avec soin et de contre-coller soit sur des tissus pour en faire des oriflammes, soit sur des cartons forts pour en faire des décors indépendants. Dans le même temps, il multiplie les mâts qui scandent le déroulement du cortège. Durant l’Entre-deux-guerres, de nouveaux décors sont imaginés par René Rabault, mais ils devront composer jusqu’à la fin des années 1950 avec les décors imaginés par Farcy.
Depuis le concile Vatican II, cette procession a complètement été abandonnée. Cependant des catholiques Angevins ont relancé depuis 2014 une procession au Saint Sacrement dans les rues d’Angers inspirée de cette belle tradition angevine.
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