Un requiem – pas seulement pour le pape - À propos du décès du pape François et de l'avenir de l'Église catholique ? par David Engels
- Academia Christiana
- il y a 2 heures
- 7 min de lecture

« De mortuis nil nisi bene » (« Des morts : rien sinon le bien »), disaient autrefois les Romains.
Et cela en dit long sur notre époque que même (et surtout) parmi les « conservateurs », ce vieux principe ne soit pas toujours respecté, en particulier lorsqu'il s'agit d'une personnalité sacrale aussi éminente que le pape François.
Une réaction prématurée et révélatrice
La nouvelle de son décès n'était connue que depuis quelques heures que les premiers règlements de comptes étaient déjà publiés. Et même si tout ce qui a été écrit depuis lors n'est pas forcément faux, il s'agit tout de même d'une entorse au bon goût qui, en fin de compte, est d'autant plus grave qu'elle peut prétendre à une certaine justification. Dans la suite, nous souhaitons donc prendre un peu de recul face aux événements actuels pour jeter un regard plutôt généraliste sur l'Église universelle, avant d'aborder, sine ira et studio, les possibilités finalement assez limitées dont dispose un pontife aujourd'hui pour influencer le cours des événements.
Prendre du recul sur la situation de l’Église
En ce qui concerne la situation de l'Église universelle, on se rend à peine compte, surtout en Europe, à quel point la situation mondiale est complexe, différenciée et finalement mitigée. Que le catholicisme soit en recul partout en Europe est une évidence : non seulement en Allemagne et en France, mais aussi dans tous les autres pays, même ceux qui étaient à l'origine profondément catholiques comme la Pologne, l'Irlande, l'Espagne et l'Italie, le nombre officiel de croyants et de religieux diminue inexorablement, et avec eux non seulement l'influence politique et culturelle de Rome, mais aussi d'importantes sources de revenus.
Les causes du déclin de la foi
Les raisons en sont bien connues : la complaisance envers l'esprit du temps, qui a produit l'effet contraire de celui escompté ; la diffamation systématique du christianisme dans les médias, la politique et la culture ; le déclin démographique qui, avec la disparition de la génération du baby-boom, touche également l'Église – tous ces facteurs, parmi beaucoup d'autres, ont créé une dynamique extrêmement critique qui, dans quelques générations, sera sans doute considérée par les historiens comme l'événement historique central de la fin du XXe et du début du XXIe siècle. Car, qu'on le veuille ou non, ce qui disparaît avec le christianisme, c'est aussi le cadre de référence décisif, non seulement spirituel, mais aussi intellectuel, politique et culturel, qui a maintenu l'unité profonde de l'Occident pendant des siècles.
Alors qu'il y a quelques années encore, le terme « tradi » désignait des personnes âgées nostalgiques du passé, il désigne aujourd'hui des familles jeunes, nombreuses et clairement situées à droite sur l'échiquier politique, notamment en France.
Une poussée conservatrice inattendue
Tout n'est pas négatif pour autant : le déclin de l'Église de masse s'accompagne d'un renforcement des courants conservateurs qui gagnent en influence notamment chez les jeunes, et qui se caractérisent essentiellement par un lien étroit entre messe tridentine, patriotisme national et sens aigu de la famille. Alors qu'il y a quelques années encore, le terme « tradi » désignait des personnes âgées nostalgiques du passé, il désigne aujourd'hui des familles jeunes, nombreuses et clairement situées à droite sur l'échiquier politique, notamment en France. Il ne sera donc pas surprenant que les proportions au sein de l'Église européenne changent considérablement dans les années à venir :
dans 20 ans, les conservateurs, qui, aujourd’hui, doivent encore célébrer leurs messes latines dans les catacombes, constitueront certainement la majorité des catholiques et prendront le contrôle de l'Église.
La question est de savoir ce qu'il restera alors de cette «Église », non seulement en termes d'influence culturelle et politique, qui aura probablement largement disparu à ce moment-là, mais aussi en termes d'importance démographique, sans parler de son pouvoir logistique, alors qu'une braderie effrayante des églises, des hôpitaux, des écoles, des collections, des bibliothèques et des monastères est déjà en cours. Comme dans tant d'autres domaines de la vie publique, en matière ecclésiastique aussi, la génération sortante ne laissera derrière elle que des ruines.

Une situation fragile hors d’Europe aussi
Mais même en dehors de l'Europe, la situation est loin d'être rose.
On aime à dire que, de toute manière, l'avenir du christianisme ne se trouve pas sur le « vieux continent », mais en Afrique, en Amérique latine et peut-être même en Asie orientale, et que bon nombre des décisions du pape défunt, qui semblent à première vue contre-intuitives, reposaient sur le fait qu'il préférait renforcer les nouveaux centres extra-européens plutôt que de consacrer trop d'énergie à une bataille perdue d'avance pour le futur de l’Europe.
Ce n'est pas tout à fait faux, mais ce n'est pas tout à fait vrai non plus.
D'une part, nous constatons, même si c'est avec un certain décalage, un déclin indéniable du catholicisme en Amérique latine. D'autre part, il ne faut pas oublier que beaucoup de ce qui est formellement « catholique » est en réalité profondément imprégné d'un fort syncrétisme avec des croyances païennes ; il suffit de penser au vaudou dans les Caraïbes, au Brésil et en Afrique de l'Ouest, ou à la résurgence des croyances précolombiennes en Amérique centrale et dans la région andine.
Le christianisme catholique est certes, tout comme l'islam ou le bouddhisme, une religion universelle, mais il est néanmoins profondément marqué par les formes culturelles de la civilisation européenne, sans lesquelles il pourrait évoluer dans une direction complètement différente, tout comme le bouddhisme chinois a pris une direction qui n'a plus grand-chose à voir avec ses racines indiennes.
Si l'influence européenne sur le catholicisme venait à disparaître, celui-ci se fragmenterait non seulement en zones culturellement totalement disparates, mais aussi le rôle de Rome se limiterait à celui d'un simple symbole.
Une impasse stratégique pour l’Église
Tout cela n'est bien sûr un secret pour personne, ni pour les différents papes ni pour les hauts représentants du Vatican.
Outre le fait que presque tous les dignitaires soient d'une manière ou d'une autre coresponsables du concile Vatican II ou l'aient soutenu et puissent difficilement revenir au traditionalisme sans perdre leur identité et, bien sûr, leur réseaux d’influence, l'Église se trouve dans un véritable dilemme.
Si elle renforce le conservatisme selon le modèle européen, elle s'engage non seulement dans une collision frontale avec la majorité des dirigeants politiques, médiatiques et culturels du continent (et ce, à une époque d’extrême faiblesse) ; elle risque aussi, dans ses centres extra-européens, un conflit avec les courants régionalistes qui, de leur côté, sont massivement renforcés dans leur critique du Vieux Continent par le post-colonialisme et des puissants flux financiers mondialisés.
Si elle renforce les courants de gauche, en revanche, l'Église s'expose à une épreuve dogmatique qui pourrait lui coûter, à long terme, au moins son centre de gravité européen, sans parler de sa cohésion doctrinale et de son âme...
Un pontificat sous influence médiatique
Quelle marge de manœuvre l'Église a-t-elle donc ? Un « New Pope », pour citer la magnifique série de Paolo Sorrentino qui a influencé tant de traditionalistes, serait un risque qu'une institution aussi ancienne, prudente et vénérable que l'Église ne prend pas à toutes les générations ; il est donc plus probable qu'elle opère seulement de petites corrections diplomatiques en restant convaincue que la persévérance est le moyen le plus sûr d'atteindre son objectif.
C'est sans doute ce qu'a dû ressentir François, qui n'a pas voulu imposer ses tentatives de réforme, plutôt orientées à gauche, de l'intérieur, donc depuis l'appareil ecclésiastique lui-même, mais plutôt de l'extérieur, instrumentalisant la pression des médias et de l'opinion publique ; une tactique que beaucoup lui ont reprochée comme étant une stratégie machiavélique, bien qu'elle ait été en même temps un certain aveu de faiblesse.
Mais ainsi, il a surtout semé le chaos et la discorde au sein de l'institution, tandis que la sympathie que François a suscitée dans les médias de masse et chez les chrétiens culturels post-religieux, qui ne fréquentent l'église qu'à Noël ou pour les funérailles, avec ses déclarations sur le climat, la migration, le Covid ou le populisme, est sans doute moins importante pour l'avenir concret de l'Église qu'il ne l'avait espéré : les médias sont de toute manière fondamentalement anti-chrétiens, et les « chrétiens culturels » sont totalement inaptes à entreprendre un véritable dialogue avec Dieu.
On considérera donc surtout le pontificat passé comme l'expression d'un conflit interne à l'Église, dans lequel le pape a tenté, en luttant contre les conservateurs jugés trop euro-centriques et rebelles et en se rapprochant médiatiquement d'un zeitgeist et d'un appareil politique largement à gauche, non seulement de renforcer la fonction pontificale, mais aussi d'uniformiser idéologiquement le centre et la périphérie du monde catholique au détriment d’une cohérence dogmatique millénaire.

que sera l'avenir de l'Église catholique ?
Quelle sera la suite ? D’après ce que l’on entend depuis Rome, à droite comme à gauche, le collège cardinalice semble s'accorder sur un point en particulier : le prochain pape, peu importe son orientation politique, devrait incarner la pondération et la constance plutôt que l'imprévisibilité et l'ambition, et ainsi offrir un répit permettant avant tout de rétablir la paix interne.
Le facteur "Trump"
Cependant, un nouveau facteur d'incertitude est entré en ligne de compte : Donald Trump. En effet, alors que les deux dernières élections papales se sont déroulées dans un climat d'indifférence politique quasi totale, la présente élection se déroule dans une situation extrêmement tendue : celle d'une présidence américaine qui, plus que toute autre auparavant, se caractérise par sa volonté de disruption, l'influence de milieux catholiques traditionalistes et une lutte idéologique sans précédent contre la gauche et le mondialisme.
Ainsi, pour Donald Trump, la possibilité de nommer « son » pape sera au moins aussi importante qu'elle l'était autrefois pour l'empereur du Saint-Empire romain. Et comme le Vatican connaît en ce moment de graves difficultés financières et que de nombreux cardinaux, bien que politiciens extrêmement habiles, ont grandi dans des conditions historiques très différentes et sont peu préparés aux pressions qui pourraient se préparer dans les coulisses, tout est désormais possible.
Mais une éventuelle instrumentalisation de la fonction pontificale par Washington est-elle souhaitable, non seulement pour l'Église, mais aussi pour les intérêts très concrets du « vieux continent » vis-à-vis du « Nouveau Monde » ? On peut en douter, mais nous devrons sans doute remettre cette question à plus tard...
David Engels

Suivez David Engels sur les réseaux sociaux :
Instagram : https://www.instagram.com/davidjohannesengels/
Facebook : https://www.facebook.com/david.engels.773
Note de la rédaction :Les intertitres et la mise en forme de cet article ont été ajoutés par la rédaction pour en faciliter la lecture en ligne. Les opinions exprimées dans ce texte sont celles de l’auteur et n’engagent pas la rédaction, qui propose ici une réflexion stimulante dans le but d’enrichir le débat et la pensée.
Cet article traite du Pape François et de l'avenir de l'Église catholique.
Comments