La chrétienté est-elle un concept dépassé ?
- Academia Christiana
- il y a 2 jours
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Comprendre avant de juger
Le mot « chrétienté » évoque pour certains une nostalgie périmée, pour d'autres une menace théocratique. Dans un contexte culturel profondément marqué par la sécularisation, il importe d’abord de poser les mots avec justesse. Qu’entend-on par chrétienté ? Pourquoi ce terme, autrefois central dans l’histoire européenne, semble-t-il aujourd’hui susciter autant de malentendus ?
Plutôt que de céder à la caricature ou à la polémique, cet article propose une réflexion sereine et pédagogique sur ce qu’est, ou pourrait être encore, la chrétienté : ni retour illusoire à un âge d’or révolu, ni fuite dans l’abstraction idéologique, mais compréhension d’un ordre social inspiré par l’Évangile, à hauteur d’homme.
1. La chrétienté : un mot chargé d’histoire
Dans son sens classique, la chrétienté désigne l’ensemble des sociétés structurées par la foi chrétienne. Il ne s’agit pas uniquement d’un pouvoir temporel sous influence ecclésiastique, mais d’un monde façonné, dans ses lois, ses coutumes, ses fêtes, ses œuvres d’art, par la lumière de l’Évangile. Loin d’un projet de domination, la chrétienté est d’abord une culture : un tissu organique de pratiques, de repères et de symboles orientés vers le Bien commun, dont le Christ est la source.
Comme l’écrivait Jean Sévillia, elle fut aussi, pendant des siècles, le socle commun qui rendait possible l’unité spirituelle de l’Europe. Cela ne signifie pas que tout y fut parfait, mais que l’orientation fondamentale des sociétés médiévales et post-médiévales reconnaissait une hiérarchie des biens dont Dieu était le sommet.
2. Une royauté d’amour et non de puissance
C’est ici qu’il convient de distinguer, comme le fait Pie XI dans Quas Primas, entre une royauté selon le monde et la royauté du Christ. Le Christ n’a pas revendiqué le pouvoir comme le font les rois terrestres. Il règne en tant que créateur et rédempteur, et sa royauté est d’abord un service de la vérité, de la justice et de la charité. Refuser cette royauté, ce n’est pas simplement refuser une structure politique, mais désorienter l’homme dans sa quête de sens.
Ainsi, la chrétienté n’est pas l’imposition d’une religion par la force. Elle est la reconnaissance libre et intelligente que la loi de Dieu est juste, bonne et bienfaisante. Elle appelle à former des sociétés où les lois humaines soient en harmonie avec la loi naturelle et les principes du bien commun. Comme l’enseigne encore le Catéchisme de l’Église catholique, le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne l’homme « individuellement et socialement ».
3. La modernité a-t-elle rendu la chrétienté caduque ?
Nombreux sont ceux qui objectent que l’idéal chrétien n’est plus audible dans une société devenue pluraliste et sécularisée. La question est légitime. Faut-il continuer à parler de chrétienté dans un monde postchrétien ? Cette objection suppose cependant que le concept de chrétienté serait incompatible avec la modernité ou la démocratie. Mais est-ce la modernité qui refuse la chrétienté, ou bien une certaine conception individualiste et désincarnée de la liberté ?
Comme le rappelait Thibaud Collin, la royauté du Christ est aujourd’hui contestée, non tant parce qu’elle serait violente, mais parce qu’elle contredit l’idée moderne selon laquelle l’homme est son propre législateur. Pourtant, c’est précisément lorsque les repères s’effacent que la société s’enfonce dans le relativisme et le nihilisme. Le Christ-Roi n’est pas un tyran, il est le principe d’un ordre juste où l’homme peut s’épanouir selon sa nature.
4. Une restauration adaptée à notre époque
Ce constat appelle une prudence stratégique. Il serait vain de plaquer un modèle du passé sur des sociétés profondément transformées. L’homme de 2024 n’est pas celui de 1925. Il vit dans un monde urbain, technique, numérisé, où l’anthropologie chrétienne n’est plus partagée. Recréer une chrétienté exige donc un travail patient, enraciné, incarné.
Il ne s’agit pas de réclamer un retour de l’État chrétien par décret, mais de créer les conditions d’un renouveau culturel, spirituel, économique et social qui rende à nouveau crédible l’idée d’un ordre chrétien. Cela passe par une cohérence de vie personnelle, une vie familiale structurée, une économie au service de l’homme, des communautés locales vivantes et des œuvres d’éducation et de charité.
5. La chrétienté comme projet éducatif intégral
Academia Christiana, dans ses universités d’été et ses programmes de formation, porte ce projet d’une éducation intégrale : formation de la tête, du cœur, des mains, du corps et de l’âme. Loin des utopies désincarnées, nous croyons que la chrétienté commence par l’homme lui-même : un homme réconcilié avec sa nature, inséré dans une communauté, guidé par la lumière de la foi.
En ce sens, la chrétienté n’est pas un slogan ni un rêve figé, mais un horizon vers lequel nous avançons par le témoignage, la construction patiente et la fidélité quotidienne. Elle est le fruit d’une culture vivante, d’un culte rendu à Dieu, et d’une vision du monde dans laquelle l’homme n’est pas Dieu, mais appelé à le rejoindre.
Conclusion : une promesse de paix
Il faut redire que la royauté du Christ n’abolit pas la liberté, mais la fonde. Elle ne nie pas les différences entre les cultures, mais les élève à l’unité dans la vérité. Elle n’impose pas une foi, elle la propose avec autorité, car cette autorité est celle de l’amour incarné.
Travailler à une nouvelle chrétienté, c’est préparer le terrain à une société humaine régénérée, non par la nostalgie d’un ordre ancien, mais par la force tranquille d’une foi vécue, transmise, aimée. C’est anticiper, dès aujourd’hui, la paix promise par le Christ : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger ».
Trois figures pour incarner cette espérance
Saint Benoît : père de la civilisation chrétienne, artisan d’un ordre à la fois spirituel, culturel et communautaire.
Saint Jacques, le Majeur : compagnon invisible de la Reconquista, symbole d’une foi qui soutient les peuples dans leur combat pour la liberté.
Bienheureux José Sanchez del Rio : adolescent mexicain mort pour avoir crié « Viva Cristo Rey ! », témoignage de la jeunesse qui ne se résigne pas à la médiocrité.
Ces figures nous rappellent que la chrétienté n’est pas une nostalgie, mais une vocation.
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