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Christianisme et patriotisme - David Engels

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Le christianisme a-t-il encore sa place dans le débat politique d'une société laïque et neutre sur le plan religieux ?

Et si oui, le christianisme, avec sa mission universelle, et le patriotisme, avec sa préférence nationale, ne s'excluent-ils pas mutuellement ? Ces deux reproches sont désormais devenus des lieux communs que l'on entend quotidiennement dans tous les débats sur cette question. Malheureusement, les réponses habituellement données par les patriotes chrétiens ne sont pas toujours convaincantes : les uns invoquent le fait que la séparation de l'Église et de l'État fait partie de l'ADN du christianisme depuis le conflit médiéval entre le pape et l'empereur et que le christianisme (contrairement à l'islam) doit donc être considéré comme politiquement « inoffensif » ; d'autres développent plutôt une sorte de christianisme patriotique, dans lequel chaque pays se vante de posséder le meilleur accès à Dieu, privilège prétendument garanti par l'histoire.


Deux erreurs fréquentes dans le rapport foi/nation

Ces deux positions me semblent erronées. La première, parce qu'elle reprend implicitement (voire explicitement) le discours dangereux selon lequel la religion est une « affaire privée », discours en grande partie responsable de la déchristianisation de notre société. En effet, outre les prises de position sur le salut spirituel individuel, la religion inclut toujours une vision très spécifique et concrète de questions plus générales telles que la vie, la famille, l'environnement, l'État ou la dignité humaine, qui sont toutes de nature éminemment politique ; et ceux qui prennent leur foi au sérieux ne peuvent que laisser leurs convictions et leurs actions politiques s'en inspirer. Et la mesure dans laquelle la seconde position, celle d'une sorte de « privilège » national, est une erreur, se trouve déjà démontrée par le fait que presque tous les États européens pensent pouvoir trouver dans leur histoire des points de référence à un tel statut ; qu'il s'agisse de la France en tant que « fille aînée de l'Église », l'Italie en tant que patrie du Saint-Siège, la Pologne en tant que « fille la plus fidèle de l'Église » et nation martyre, l'Allemagne en tant que porteuse de l'idée du « Saint Empire », l'Espagne en tant que « défenseur de la foi », sans parler des Églises nationales protestantes et orthodoxes avec leur auto-idéalisation théologique souvent très prononcée...


Entre âme individuelle et communautés naturelles

Mais si aucune de ces positions n'est vraiment convaincante, comment justifier et définir la relation entre le christianisme et le patriotisme ? Au cœur de cette question se trouve en fait la tension entre l'idée de l'homme comme âme individuelle (avec tout ce que cela implique en termes de responsabilité), et l'idée de l'homme comme créature divine faisant partie de systèmes de référence complexes, issus de nécessités biologiques immédiates (comme la famille) ou d'éléments anthropologiques plus abstraits (comme la création de formes sociales plus étendues). Jésus lui-même a déjà donné à ses disciples la célèbre directive « Rendez à César ce qui est à César, et rendez à Dieu ce qui est à Dieu », qui, malgré le mépris indéniable qu'elle implique pour tous les biens terrestres (car il ne s'agit pas seulement de la question du paiement des impôts aux occupants romains, mais aussi de la piètre valeur de tout bien matériel face à l'attente immédiate de l'apocalypse), soulève en fait la question centrale des limites entre la responsabilité terrestre et la responsabilité spirituelle. Le Christ indique clairement que les commandements de Dieu et donc le salut de notre âme doivent en fin de compte avoir la priorité absolue sur les institutions terrestres, quelle que soit leur légitimité – une conviction qui a ensuite justifié le refus du culte de l'empereur par les premiers chrétiens et déclenché ces vagues de persécutions et de martyres qui devaient aboutir à la victoire de « l'Église édifiée sur le sang des martyrs ».


L’ordo caritatis : une hiérarchie de responsabilités

Cependant, la priorité accordée au salut de son âme ne signifie pas le rejet des obligations terrestres (ou du moins seulement en contrepartie d'un abandon des privilèges terrestres par les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance), et celles-ci sont hiérarchisés dans l'« ordo caritatis » conformément à la réalité concrète de la création, comme l'exprime 1 Timothée 5,8 (« Mais si quelqu'un ne pourvoit pas aux besoins des siens, et surtout de ceux de sa famille, il a renié la foi et il est pire qu'un incroyant » ; simil. Galates 6,10 : « C'est pourquoi, tant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais surtout à nos frères dans la foi »). Cette hiérarchie va du plus proche au plus éloigné et, sans pour autant exclure l'amour spontané pour des « prochains » plus éloignés, elle classe les formes de solidarité de manière hiérarchique selon les intérêts de la pérennité de l'ordre social naturel.


Le patriotisme, un devoir chrétien légitime

Ainsi, outre la famille et les coreligionnaires, des concepts tels que le « voisin », le « concitoyen » ou le « compatriote » font logiquement partie de cet ordre ; un ordre qui exige essentiellement une solidarité accrue là où il existe également un recoupement identitaire accru. Une intégration des identités régionales, nationales et politiques dans l’« ordo caritatis » n'est donc pas une interprétation erronée de la bonne nouvelle, mais fait depuis toujours partie de l'exégèse traditionnelle – il suffit de penser à saint Thomas d'Aquin qui (en s'inspirant de Cicéron) a formulé la position théologique qui prévaut encore aujourd'hui sur la question du patriotisme en écrivant : « L'homme a des obligations envers les autres de différentes manières... principalement envers ses parents et sa patrie, après Dieu. Tout comme la religion doit rendre hommage à Dieu, la piété doit rendre hommage en second lieu aux parents et à la patrie » ; Summa Theologiae II-II, q. 101, a. 2). Bien entendu, il ne s'agit pas ici d’obéissance aveugle ni d'arrogance nationaliste ou raciste ; néanmoins, même le Concile Vatican II précise que l'amour de la patrie fait partie intégrale des devoirs du chrétien : « Les citoyens doivent cultiver un amour généreux et fidèle pour leur patrie, sans étroitesse d'esprit, mais en gardant à l'esprit le bien de toute la famille humaine, qui est unie par les multiples liens entre les races, les peuples et les nations » (Gaudium et Spes 75).


Contre les utopies cosmopolites

Dès lors, l'idée que les nations doivent être politiquement dissoutes au profit d'une humanité unifiée – que ce soit par l'immigration massive, par la dissolution des traditions locales ou par un « gouvernement mondial » général – ne peut guère être justifiée d'un point de vue chrétien, contrairement à un préjugé souvent avancé dans les médias, notamment par la gauche. Et même la confiance chrétienne en l'union ultime de tous les hommes ne se réfère pas à un État idéal multiculturel et laïc à réaliser politiquement, mais plutôt à un effacement naturel de toutes les différences interpersonnelles dans la perspective de la connaissance commune du Christ ; un effacement qui est en outre indissociable de l'avènement de l'Apocalypse, et dont la promotion artificielle, violente et irréligieuse revêt donc, à proprement parler, des traits plutôt antichrétiens.


Diversité, peuples et Providence divine

En effet, les différences entre les personnes, les sexes, les familles et les peuples ne doivent pas être considérées comme fondamentalement négatives, mais font plutôt partie de la création et du plan divin : le christianisme a lui-même préservé la belle tradition de l'Ancien Testament selon laquelle Dieu a donné des anges gardiens non seulement aux personnes, mais aussi aux peuples (Dan 10,20-11,1). Dieu considère donc également les peuples comme des acteurs moraux et religieux à part entière, qui connaissent une évolution collective (pour le meilleur ou pour le pire), et dont le devenir engage la responsabilité de chaque individu appartenant à un tel peuple, même si l’homme se trouve ainsi naturellement pris dans un champ de tensions permanent entre sa loyauté envers la collectivité et le souci de son propre salut ; un fil rouge qui traverse d'ailleurs toute la littérature prophétique biblique.


Application politique et devoir d’espérance

Que découle-t-il donc de ces réflexions pour la politique active ? Tout d'abord, la confirmation – si tant est qu'elle soit nécessaire – qu'aucun pouvoir ou rhétorique au monde ne doit empêcher un politicien ou activiste véritablement chrétien de transposer les convictions dérivées du christianisme dans la vie quotidienne de son environnement. Il ne s'agit bien sûr pas d'imposer aux autres une foi qui leur est étrangère, mais bien de prendre et de mettre en œuvre des décisions qui font des valeurs chrétiennes la norme sociale et ouvrent ainsi progressivement la porte menant à la foi individuelle et qui avait été de plus en plus fermée par les générations précédentes.


Entre islam et wokisme : garder la tête haute

Cette approche doit également s'appliquer aux relations avec les autres religions, en particulier l'islam. Il est difficile d'éviter que celui-ci devienne dans un avenir proche une force politique importante dans toute l'Europe occidentale et revendiquera une transformation de la vie publique conforme à ses principes. Il y aura sans aucun doute des convergences et des divergences avec les objectifs chrétiens ; convergences et divergences qui ne doivent être ni ignorées ni surestimées. Ainsi, au moins en ce qui concerne l'importance accordée à la transcendance, à la famille ou à la vie, les chrétiens et les musulmans devraient être plus proches les uns des autres que des soi-disant « wokes » ; mais en même temps, les bases théologiques ainsi que culturelles du christianisme et de l’islam restent fondamentalement différentes, et la question se posera de savoir dans quelle mesure le christianisme est prêt à continuer à affaiblir son droit identitaire à façonner de manière privilégiée une civilisation européenne qu'il a largement créée, ou s'il va enfin défendre avec courage et persévérance le fait que des constellations démographiques locales temporaires ne peuvent être invoquées comme raison suffisante pour réduire ou démanteler la prétention chrétienne à représenter le fondement spirituel et religieux ultime de notre culture au profit de l’islam.


Conclusion : Entre César et Dieu

Si cela provoque un conflit non seulement avec l'islam, mais aussi avec les forces du wokisme, il faudra alors le mener courageusement jusqu'au bout, même s'il appartient à chacun de déterminer ce qui appartient à « César » et ce qui appartient à « Dieu », tout en se souvenant de Matthieu (10,16), où Jésus conseille à ses disciples d'être « prudents comme les serpents et sans fausseté comme les colombes ».

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