La chute de Constantinople : Memento mori de la chute de l’Europe ? Par David Engels
- Academia Christiana
- 29 mai
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Un anniversaire oublié
Hier, 29 mai, nous commémorions — du moins, pour ceux qui s’en souviennent — l’anniversaire de la chute de Constantinople, survenue en 1453. Difficile de ne pas être tenté d’esquisser un parallèle avec notre pauvre vieille Europe d’aujourd’hui. Jadis reine du monde, détentrice d’une civilisation millénaire, Constantinople n’est devenue, au fil des siècles, que l’ombre d’elle-même.
Assiégée de l’extérieur comme de l’intérieur par des ennemis intrépides, largement incapable de se défendre après des générations de décadence morale et militaire, délaissée par la plupart de ses alliés, divisée politiquement, et préférant débattre du sexe des anges plutôt que des meilleures manières de reconquérir l’empire perdu — la chute de la « deuxième Rome », presque aussi vénérable que la première, ne constitue-t-elle pas un memento mori pour la civilisation européenne ?
Entre Constantinople et l’Europe contemporaine
Certains diraient même que nous nous trouvons dans une situation pire que le dernier vestige de l’empire byzantin. Constantinople, dans ses derniers mois, avait encore un empereur valeureux, prêt à tomber avec ses soldats plutôt que de capituler, tandis que la plupart de nos chefs d’État se sont depuis longtemps accommodés de l’ennemi, qu’il soit intérieur ou extérieur.
De plus, si l’on débattait alors du sexe des anges, on demeurait néanmoins chrétien, sans renier, comme nous, la foi de nos ancêtres — abandonnée non au profit d’une autre religion, mais au nom d’un athéisme triomphant.
Finalement, les ennemis qui assiégeaient la ville éternelle venaient de l’extérieur, car on ne leur avait pas encore accordé le droit de cité, bien que la ville comptât déjà suffisamment de traîtres prêts à la vendre au sultan, tel celui qui lui indiqua la meilleure voie pour franchir les défenses…
Des différences porteuses d’espérance
Heureusement, parmi les différences, notons tout de même aussi quelques éléments qui pourraient jouer en notre faveur.
Ainsi, Constantinople fut le dernier vestige d’une civilisation dont l’étendue s’était rétractée, au fil des siècles, comme une peau de chagrin. L’Europe, en revanche, commande encore — du moins en théorie — un territoire impressionnant, avec une population immense, bien que déclinante.
De plus, pour l’instant du moins, la plupart des ennemis réels de l’Europe ne sont pas à sa mesure. Le sultan disposait, lors du siège, de l’artillerie la plus moderne du monde, tandis que l’Europe n’a aujourd’hui que peu à craindre sur la plupart de ses frontières — à l’exception de la frontière orientale.
Seule la Chine représenterait un adversaire véritablement redoutable, si elle n’était située trop loin pour constituer une menace territoriale immédiate. Dès lors, la menace qui pèse sur l’Europe est d’une nature plus diffuse : elle vise moins son intégrité géographique que son autonomie culturelle, politique, ethnique et économique.
L’attractivité perdue et les contradictions modernes
L’Empire ottoman exerçait un pouvoir d’attraction non négligeable. Sa relative tolérance apparaissait comme un avantage aux yeux de nombreux Grecs, tout comme sa fiscalité. La différence civilisationnelle entre les deux empires semblait alors relativement ténue.
Aujourd’hui, en revanche, l’Europe demeure paradoxalement une terre d’espérance pour des populations étrangères appartenant à des civilisations dont l’attractivité matérielle est inexistante. La plupart des migrants qui proclament la supériorité de l’islam, de l’hindouisme ou des cultes syncrétiques africains ne voudraient pour rien au monde retourner s’installer chez eux.
Le piège du passéisme héroïque
Il y a encore autre chose que la mémoire de cet événement m’inspire. J’observe une tendance préoccupante dans la droite européenne : celle de se replier dans un culte héroïque, nostalgique et stérile.
Certes, sans mémoire des grandeurs passées, il est difficile de projeter ce qui subsiste de notre civilisation dans l’avenir. Mais il est un seuil où la référence au passé cesse d’être un levier d’inspiration pour devenir une excuse, un refuge pour le défaitisme.
Combien de Byzantins durent sombrer dans le désespoir face à l’écart entre la majesté de l’empire et la déliquescence de Constantinople ? Et combien de jeunes, aujourd’hui, préfèrent partager des images belliqueuses sur les réseaux plutôt que de descendre dans la rue, fonder une famille ou reprendre un village oublié ?
Entre politique et transcendance
Suis-je trop dur ? Oui et non. Il faut savoir se secouer, mais aussi reconnaître que la situation est difficile. Et surtout, éviter une autre erreur : ne percevoir notre existence qu’à travers le prisme du politique, ou pire, de l’identitaire.
Nous ne sommes pas que des pions. Nous avons une essence propre. Nous sommes créés à l’image de la divinité, et notre tâche première est d’exprimer toute la dimension transcendante de notre être.
Ce qui fait vivre une civilisation
Le politique peut être considéré comme la quintessence de la réalité sociale humaine — mais la réalité n’est pas tout. L’amour, la beauté, le devoir, la quête de l’éternel : voilà ce qui dépasse la politique. Une civilisation meurt lorsqu’elle perd ses horizons de transcendance.
Peu importe alors que cette agonie soit portée par un discours de gauche ou de droite : les deux peuvent sombrer dans une vision matérialiste et réductrice de la grandeur.
Redécouvrir la grandeur intérieure
Cessons donc d’attribuer à nos ancêtres seuls une grandeur qui réside encore en chacun de nous. Les civilisations sont mortelles, mais la nôtre ne pourra subsister que si nous reconnaissons que la victoire ne consiste pas seulement en la survie éternelle de l’Europe, mais dans la sanctification de chaque vie.
Les vrais héros, artistes et saints ne surgissent pas dans la facilité. Ils surgissent dans l’épreuve.
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