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Entretien publié dans la revue The European Conservative




Par David Engels


Voir des gens pratiquer les arts martiaux et assister à la messe tridentine le matin, et, le soir, déguster la cuisine locale, chanter bruyamment de vieilles chansons françaises et parler joyeusement de l'avenir est quelque chose que je n'oublierai jamais - et je souhaite, peut-être en vain, que cela puisse se répéter dans toute l'Europe.


Pour une fois, j'ai le privilège de ne pas déplorer le déclin de l'Occident, mais d'encourager le mouvement de résistance. Je parle en particulier de l'initiative française Academia Christiana, dont j'ai eu la chance d'assister à la conférence d'été dans un manoir normand en août 2021.


Ce fut un rare plaisir de passer le week-end à la fois avec des penseurs conservateurs établis et de jeunes passionnés brillants : des antithèses des hommes et des femmes « post-historiques » qui peuplent nos villes. L'impression humaine mérite à elle seule d'être enregistrée ici. Il s'agissait de centaines de personnes, en bon état et dans la fleur de l'âge, et pleinement au courant des causes et des conséquences de la décadence culturelle. Les voir pratiquer les arts martiaux et assister à la messe tridentine le matin, et, le soir, déguster une cuisine locale, chanter bruyamment de vieilles chansons françaises et parler joyeusement de l'avenir est quelque chose que je n'oublierai jamais - et je souhaite, peut-être en vain, que cela puisse être répété dans toute l'Europe.


Bien que, à certains égards, la crise culturelle européenne soit plus avancée en France qu'ailleurs, le patriotisme et le christianisme ont des racines plus profondes ici que, par exemple, en Allemagne, où la religion ainsi qu'une fierté nationale saine sont en déclin spectaculaire, peut-être mortel. Néanmoins, il faut espérer que l'Academia Christiana puisse créer un précédent à suivre pour l'Espagne catholique, l'Italie ou l'Europe de l'Est.


Certes, il est peu probable qu'une telle entreprise de niche atteigne les masses, car la dégradation de notre culture a trop progressé et la rupture avec la tradition est trop complète. Mais de l'autre côté du spectre politique aussi, ceux qui sont fortement, consciemment opposés au christianisme et à la tradition sont relativement peu nombreux (bien qu'ils exercent un pouvoir incomparable et disproportionné).


Si, alors, nous pouvons renforcer un peu nos rangs ; si nous pouvons montrer que la désintégration sociale est la conséquence du libéralisme de gauche ; si nous pouvons éduquer les jeunes par la raison et l'exemple humain, alors tout espoir n'est pas perdu.


Ensuite, grâce à des institutions comme l'Academia Christiana, inaperçues des médias grand public, une alternative au « dernier homme » de Nietzsche pourrait émerger. Ce qui suit est mon récent entretien avec Victor Aubert, le fondateur et directeur de l'Academia Christiana.


Pouvez-vous me parler des origines de l'Academia ? Comment a-t-elle commencé ? Qu'est-ce qui vous a motivé à lancer le programme ?

L’oeuvre est née en 2013, année des « Manifs pour tous ». Lancée par 4 étudiants, le but était à la fois humble et ambitieux : inciter la jeune génération à se former intellectuellement et à s’engager au service du bien commun. Plusieurs parmi nous avaient eu la chance, soit d’avoir des parents militants pouvant leur servir de modèle, soit de suivre des études de philosophie qui leur avaient fait prendre conscience de l’urgence de servir. À la vue d’un monde qui s’effrite, nous étions convaincus que nous ne pouvions pas rester sans rien faire. Au cours de vos nombreuses années de travail avec des jeunes adultes de toute la France, qu'est-ce qui vous a le plus surpris ? Y a-t-il des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas ? Y a-t-il des choses que vous ne vous attendiez pas à apprendre d'eux ?

Comme le rappelle Christopher Lasch « Le déracinement déracine tout, sauf le besoin de racines ». La demande en terme de formation est très importante. Les jeunes issus de classes populaires ayant grandi dans le vide culturel de l’occident décadent sont souvent les plus demandeurs et les plus sérieux dans leur engagement. Contrairement à une idée trop répandue, si frivole soit-elle, la jeunesse aspire à une certaine profondeur, elle se détourne souvent de ceux qui ne la prennent pas au sérieux. Je comprends que ces dernières années, l'intérêt pour votre programme a augmenté. À quoi l'attribuez-vous ? Qu'est-ce que cela vous apprend sur la société française ? Qu'est-ce que cela vous apprend sur les jeunes en général ?

A ma connaissance nous sommes les seuls, nous adressant à la jeunesse et essayant de lui proposer quelque chose d’accessible et attirant, à offrir une formation politique dans un cadre chrétien. Nos premiers cadres, toujours présents sur les évènements, ont aujourd’hui charge de famille, cela donne une certaine crédibilité. Alors que l’offre intellectuelle s’est considérablement enrichie sur internet, notamment via les vidéos, notre public vient surtout chercher parmi nous des amitiés et une certaine communauté. Quel est votre parcours professionnel et universitaire ? Que faisiez-vous avant de commencer l'Academia ?

Né dans une famille non pratiquante, ayant grandi dans un quartier de Paris à forte concentration d’immigrés, je n’étais pas prédestiné à fonder Academia Christiana. Converti au catholicisme à dix ans, je suis retourné à l’église après une adolescence un peu tapageuse. A vingt ans je rentrai au séminaire de la Fraternité Saint-Pierre que je quittai deux ans plus tard pour reprendre des études de philosophie à Paris. À 32 ans, père de trois enfants, j’enseigne aujourd’hui le français et la philosophie dans une école hors-contrat en Normandie. Dans tout l'Occident, il semble y avoir deux tendances étranges et contradictoires : d'une part, un athéisme agressif qui cherche à dépouiller la place publique de tout vestige de croyance et d'idées religieuses ; d'autre part, une résurgence chez les jeunes de la croyance religieuse et un intérêt croissant pour les valeurs et les modes de vie traditionnels. Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Comment l'expliquez-vous ?

L’agressivité des idéologies contemporaines est quasi religieuse. Le religieux n’a pas disparu, il s’est plutôt métamorphosé. Le vrai Dieu a été remplacé par de nouvelles idoles : santé, consommation, bien-pensance, migrant… Les médias et les juges incarnent le nouveau clergé. Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve nous dit Holderlin .L’enthousiasme de la génération 68 n’a pas fait beaucoup de petits. Dans sa grande majorité, la jeune génération est composée de consommateurs individualistes, étrangers à toute forme d’engagement politique ou associatif. Mais il y a aussi des jeunes ayant soif de repères et de racines. On retrouve ces derniers dans les rangs de Daesh, chez les wokistes orthodoxes et à Academia Christiana. Certains conservateurs affirment aujourd'hui que nous avons perdu tout ce qui avait de la valeur et qu'il n'y a vraiment plus rien à conserver. Selon eux, nous avons plutôt besoin d'un renouveau culturel et de solides actes de restauration. Qu'en pensez-vous ? Quel est votre diagnostic de notre situation actuelle ? Et que pourriez-vous suggérer à nos lecteurs?

Academia Christiana n’a pas vraiment de position officielle sur ce constat, mais nous nous orientons évidemment vers des solutions comme celles du combat culturel, du « pari bénédictin » de Rod Dreher, de la transmission vers les nouvelles générations, de la recherche d’autonomie, d’enracinement et de communauté. Le « Que faire? » de David Engels constitue à ce titre un exemple type des solutions que nous proposons à nos participants. À titre personnel, je crois, comme Dominique Venner, que « l’Europe est en dormition » et qu’il nous appartient de réveiller nos peuples. Tout est à rebâtir, et le travail commence par soi-même. Où voyez-vous l'Europe occidentale - et la France en particulier - dans cinq ou dix ans ? Quelles sont vos perspectives pour ce qui reste de la civilisation occidentale ? Et que devons-nous faire maintenant ?

Je fais partie de ceux qui croient en un effondrement inéluctable de la civilisation technico-capitaliste, la plus grande inconnue étant celle du temps. Comme Olivier Rey, je pense qu’il nous faut retrouver le sens des limites, si avenir pour l’Europe il doit y avoir, il nous sera donné de surcroit. Le plus important me semble de retrouver hic et nunc ce qui fait de nous des êtres vraiment humains, c’est d’ailleurs le propre de la civilisation face à la barbarie. Retrouver le sens de l’amitié, de la communauté, de l’enracinement et de la foi.

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