« Corporatisme ». Le mot est lâché comme une condamnation à mort, prononcée par les capitaines du Progrès, chargés de faire franchir au vaisseau France l’obstacle des récifs syndicaux, pour le mener vers l’horizon radieux de la « France d’après » (sous Sarkozy), du « changement » (Hollande) ou de la « décennie nouvelle » (actuelle présidence Rothschild). Comme « écologie » ou « régionalisme », « corporatisme » a fait les frais de l’abrutissement considérable du débat public : ces trois mots sont passés à gauche, de droite réactionnaire qu’ils étaient. Le premier décroissant fut le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, qui proposa en 1830 de ceinturer Paris d’une couronne maraîchère assurant son autonomie alimentaire et limitant l’industrialisation. Le premier zadiste, en somme. Le corporatisme est l’application du principe de la famille à l’économie : une mise en ordre de la production par l’action régulatrice d’organisations mixtes (employés-employeurs), pour chaque secteur d’activité, dans un souci d’unité nationale, à rebours de l’esprit marxiste de lutte des classes et de la compétition libérale sans pitié. C’est la modernisation des confréries de métier médiévales qui assuraient la solidarité à la place de l’Etat.
« Le problème, ce n’est pas qu’il y ait des régimes spéciaux, c’est qu’il n’y en a pas assez ! »
La droite d’idées, la vraie, a toujours fait du corporatisme le pivot central de sa doctrine. Le fait qu’un élément historique du vocabulaire de l’homme de droite soit devenu une injure destinée à la gauche, achève de démontrer la mort clinique de la droite. « Imbéciles ! » crierait Bernanos devant la droite la plus lâche du monde. A force de parler comme l’ennemi, on commence par voir le monde comme lui et on finit par le suivre. Le virage libertaire de chefs emblématiques de LR, Geoffroy Didier et le transformiste Guillaume Peltier, n’est pas un scoop mais une marque de sincérité. Quant à la dénonciation des régimes spéciaux sous prétexte « d’égalité » par En Marche et la droite molle, c’est encore un fourvoiement idéologique : le problème, ce n’est pas qu’il y ait des régimes spéciaux, c’est qu’il n’y en a pas assez ! Il faut revenir aux privilèges de l’Ancien régime et les généraliser. Historiquement, un privilège est un droit ancré dans les habitudes et reconnu par la loi, une liberté collective octroyée aux membres du corps social. Ainsi, les nobles ne payaient pas d’impôts en échange de leur engagement militaire, les artisans étaient protégés de la concurrence déloyale, les paysans pouvaient utiliser gratuitement le moulin du seigneur...
Innombrables, ces libertés variaient selon le lieu. Exemples d’actualisation : exonérer les petits commerçants du paiement des places de stationnement en centre-ville, réserver la vente de pain aux artisans boulangers, permettre aux paysans de ressemer leur propre récolte et de commercialiser leurs semences, etc. La fin du statut de cheminot - avec le passage de la SNCF en société anonyme depuis trois jours - est une étape-clef de la table rase mondialiste qui nous rêve tous en salariés interchangeables. Nous y passerons tous. Alors vive le corporatisme !
Article de Julien Langella paru dans Présent le samedi 5 janvier 2020.
Comments