Ce débat, très attendu, a suscité une audience remarquable : 3,8 millions de spectateurs contre trois fois moins sur France 2, qui recevait Valérie Pécresse et Gérald Darmanin. Il témoigne de la puissante force de frappe médiatique du journaliste et peut-être futur candidat : « Si je n’y allais pas, je décevrais beaucoup de gens. Ce sera pris comme une trahison, une désertion. » (CNEWS, dimanche 26 septembre). Cette confrontation avec le chef de file des Insoumis mérite une analyse d’un point de vue identitaire. Rappelons que le courant identitaire se définit par le primat donné à la menace du Grand remplacement et s’agrège autour des Jeunesses identitaires, fondées en 2002, du Bloc identitaire, créé l’année suivante, et de Génération identitaire, née en 2012 avant sa dissolution au printemps dernier. Les « identitaires » au sens large, par-delà les structures du même nom, promeuvent le localisme en économie et la remigration. Il n’y a pas de doctrine identitaire, seulement une prise de conscience et une stratégie : pas de souveraineté sans identité.
Zemmour a réalisé un sans-faute sur ses sujets de prédilection : Grand remplacement, islamisation, fraude immigrée aux allocations sociales… Concis et courtois, il a fait sauter la rhétorique de son adversaire, empêtré dans son concept abscons de « créolisme », version mise à jour de l’idéologie du métissage. De manière assez surprenante, lui qui n’a cessé de répéter cet argument en boucle depuis trente ans, Eric Zemmour n’a rien dit sur le rôle du grand patronat, au cours des années 70, dans l’intensification des flux migratoires et l’adoption du regroupement familial en 1976, sous la pression de grands industriels comme Francis Bouygues. Au contraire, c’est Mélenchon qui a rappelé ce fait, en profitant pour dédouaner les immigrés de leurs prédations, puisque ce serait nous qui sommes allés « les chercher »… Zemmour aurait pu rebondir et conspuer les puissances d’argent, promotrices de l’immigration-invasion, et l’hypocrisie gauchiste qui consiste à ouvrir les frontières à la misère du monde tout en reprochant au patronat de faire la même chose. L’alliance des no border et des multinationales, depuis la crise migratoire de 2013, illustre la permanence de cette union du grand capital et du gauchisme. Zemmour aurait pu présenter Jean-Luc Mélenchon et Bill Gates comme les deux faces de la même médaille : le mondialisme. Ainsi, il aurait endossé les habits de la droite populiste qui défend d’abord les petites gens, salariés et entrepreneurs français, contre le camp des internationalistes. Il aurait clairement déployé l’étendard des enracinés et rappelé que le principal clivage politique passe entre les partisans de l’identité, donc de la souveraineté, et ceux de l’abolition des frontières, gauche et droites confondues.
Pourquoi ce silence ? A-t-il renoncé à sa critique traditionnelle des grands patrons pour ne pas s’aliéner le soutien de la haute bourgeoisie ? Sur BFMTV, le 24 septembre dernier, il a salué les qualités de Marion Maréchal : « Nous avons la même stratégie, de cette alliance entre les classes populaires et la bourgeoisie patriote, c’est l’alliance qui a fait gagner Trump ». Ces dernières semaines, Eric Zemmour a cité positivement le MEDEF, certes pour d’autres motifs que leurs propositions économiques, mais c’est un fait notable. Zemmour a choisi l’union des droites et il sait trop bien qu’il ne peut se passer de la droite d’argent. Il n’a pas non plus parlé de protectionnisme, laissant là encore la main à Mélenchon (se contentant de lui reprocher son soutien passé au traité de Maastricht), et encore moins de relocalisation de l’économie. Mais cela n’a jamais été, il faut le dire, son créneau : Zemmour est un colbertiste, il pense « national » plus que « local », bien que le localisme soit une rénovation du poujadisme qu’il ne renierait pas. D’autre part, lorsqu’on s’engage dans une élection, d’autant plus en tant qu’outsider, on ne cherche pas des noises à ceux qui tiennent un certain nombre de grands médias. L’ancien socialiste Bénito Mussolini, lui aussi, a rassuré la bourgeoisie conservatrice pour s’assurer une plus grande légitimité.
Néanmoins, Jean-Luc Mélenchon a été plus identitaire que son adversaire lorsqu’il a déploré que « la moitié des fruits et légumes consommés en France étaient produits à l’étranger » et qu’il fallait reconquérir « notre souveraineté alimentaire ». Se faisant le champion d’un « protectionnisme écologique », il a prôné la mise en place d’un cahier des charges au nom duquel on pourrait interdire l’entrée de certaines denrées en France et exiger, en retour, que nos agriculteurs assument cette production, ce qui au passage créerait des nombreux emplois. Sur le plan agricole, Mélenchon défend le principe d’une agriculture identitaire, plus tournée vers les Français que vers les Yéménites et les Algériens, grands consommateurs de blé français. Retrouver notre souveraineté économique passe évidemment par l’autonomie alimentaire. Zemmour craint-il de passer pour un altermondialiste à la José Bové en s’aventurant sur ce terrain ? De facto, malgré sa vive popularité à droite, le journaliste-écrivain marche sur une corde raide : toute attaque contre la mondialisation serait mal vue par une partie influente, à défaut d’être la plus importante, de son électorat potentiel.
Dans le domaine économique, Zemmour a été moins productif que Mélenchon. Celui-ci a un projet déplaisant, mais il en a un. Zemmour, aussi, certainement, mais il est moins visible. Si sa candidature est annoncée, gageons qu’il saura être plus explicite. En attendant, sa critique des impôts de production, au moment même où la Macronie s’y attaque déjà, est insuffisante. Clin d’œil, certainement, aux électeurs de LR, puisque les Républicains réclament leur suppression pure et simple. Il n’a rien dit, non plus, sur les droits de succession : impôt profondément injuste puisqu’il taxe une deuxième fois le travail d’un homme (de son vivant et à sa mort) et parce que c’est un impôt anti-transmission, anti-famille, tout à fait emblématique de l’égalitarisme républicain. Sur l’Etat-Providence, Zemmour a surtout pointé du doigt le poids des immigrés à l’intérieur du système, plaidant en somme – sans le dire clairement – pour la préférence nationale couplée à l’expulsion des délinquants et criminels étrangers. En cela, sur la ligne identitaire la plus nette, il a rappelé que rien ne pouvait être entrepris si on ne conjure pas la menace fatale de la disparition du peuple français.
Julien Langella
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