Robert Brasillach - Le 6 février 1945 on a condamné à mort un écrivain
En ce jour anniversaire de la mort de l'écrivain français, un de nos contributeurs nous envoie cet hommage émouvant.

« lI est bon aussi que des filles et des garçons aiment le beau jour fait par Dieu, le soleil, et notre frère le bonheur. François les bénissait. Car François savait bien que les saints sont nécessaires au monde, comme le levain sert à faire le pain. Mais le levain tout seul est amer, et moisit. Il faut la bonne pâte riche et massive, et aucun de nous ne se sauvera tout seul, mais seulement avec autrui, et le monde sera présenté à Dieu tout entier, pâte et levain, comme le pain chaud et doré que le boulanger sort du four. Chacun de nous a son rôle sur la terre. » (1)
Brasillach aimait le soleil et le bonheur ; et il conserva toujours dans son cœur ses talismans de sa jeunesse, comme un bijou dans son écrin.
Il est né, un trente-et-un mars, à Perpignan, face à la Méditerranée éclatante. Son enfance s’épanouit sur cette terre saignante pareille à une orange des Baléares, dans ce pays occitan où la vigne grimpante se marie à l’ormeau, où les lauriers roses et les mimosas embaument les rues, et où une mère qui est la sienne baigne d’amour un enfant. Il conserva toute sa brève vie « le charme de ces souvenirs d’enfance, dont la faculté est d’étirer, d’étendre en tous sens, espace et temps, une journée de soleil, une aventure. »(2)
L’aventure, il n’allait cesser de la vivre. Elle était une compagne de sa jeunesse. Il la retrouva dans la littérature, il la vécut dans la politique. Depuis son arrivée à Paris, au sein de la classe préparatoire, de l’École Normale supérieure, ou dans les salles de rédaction, son étonnante opiniâtreté toujours renouvelée par la fraîcheur de sa sensibilité le porta très haut. Il était brillant, et souvent précurseur. Pour nous, il aura dépoussiéré Virgile et Corneille. Il nous aura laissé en héritage ses portraits si éloquents, qui donnent chair aux auteurs, et consistance aux idées. Il nous aura ravi de ses romans, étonné de ses critiques. Il sera toujours ce rédacteur d’Action Française qui ne concéda jamais rien à la rigidité du système maurrassien, et ce dissident de Je Suis Partout, qui alla au-devant des déchirements pour rester cohérent avec ses idées. C’est que Brasillach est un être qui n’a jamais été en schisme avec lui-même. Il était entier, et se donnait entièrement à ce qu’il pensait. Il lui arriva de se tromper. Et de se tromper durement, gravement, lui qui prenait tout avec gravité. Il connaissait les dures lois de la vie. « Nous savions que tout est éternellement en danger. » (3) Les beaux jours de la jeunesse s'estompent, ils laissent peu de souvenirs, « certaines images seulement, déformées comme des légendes, et puis de grands trous »(4). Le temps passe et vient comme la mort, à l’improviste. Et tout est une lutte pour préserver cette imparfaite remembrance du bonheur et de l’innocente fraternité juvénile.
Fait qui nous étonne, lui qui connaissait si bien l’Espagne de Franco, et qui connaissait si bien de nombreuses choses par ailleurs, il ne cessa de s’obstiner à mal interpréter le fascisme. Brasillach avait son propre fascisme, qui n’était pas celui de Mussolini, qui était encore moins celui d’Hitler. Certainement qu’il était le seul à vraiment être de son école, lui qui n’avait jamais été un doctrinaire.
« Le fascisme n’était pas pour nous une doctrine politique, il n’était pas davantage une doctrine économique. Il n’était pas l’imitation de l’étranger, et nos confrontements avec les fascismes étrangers ne faisaient que mieux nous convaincre des originalités nationales, donc de la nôtre. Mais le fascisme, c’est un esprit. C’est un esprit anti-conformiste d’abord, anti-bourgeois, et l’irrespect y avait sa part. C’est un esprit opposé aux préjugés, à ceux de la classe comme à tout autre. C’est l’esprit même de l’amitié, dont nous aurions voulu qu’il s’éleva à l’amitié nationale. » (5) Autant dire que ça n’est pas du fascisme, tel que nous l'entendons aujourd'hui.
Et là-dessus, entendons-nous bien, Brasillach n’a pas eu d’autre politique que celle de l’amitié nationale. Il n’a pas eu d’autre souci que la réconciliation et la fraternité. Il n’a pas eu d’autre vœu que le bonheur. Et nous avons là un homme dont la politique n’était pas la vocation, mais qui en avait compris les secrètes nécessités, et qui était peut-être le dernier à en avoir compris les secrètes nécessités. Il était des derniers à croire en l’amitié, et à mourir ou à être prêt à mourir pour elle. Le mot d’égarement semblera trop faible pour beaucoup. Mais il nous est impossible de nous résigner à en utiliser un autre. Son tête-à-tête avec le fascisme, cette doctrine à laquelle il croyait adhérer et qui sera peut-être l’une des choses qu’il aura le moins bien comprise, ne saurait effacer ce que l’homme et son œuvre ont été. Il ne saurait non plus nous empêcher de lire cet auteur avec le goût que nous prenons à le lire.
Nous défendons un homme, nous ne défendons pas ses erreurs. Pardonner, c’est reconnaître qu’il y a eu faute. Le chrétien devrait craindre de tolérer, car on ne tolère qu’un mal, mais il devrait bien davantage craindre de ne plus savoir pardonner. L'exécution de Brasillach, c’est le signe que notre pays avait depuis longtemps cessé d’être chrétien. Et c’est une des hontes de ce théâtre d’ombres de la Résistance, qui scanda la réconciliation pour s’achever en épuration. On ne peut prétendre défendre l’honneur et la justice quand on fait des choix qui sont exactement le contraire de l’honneur et de la justice. On pourra bien essayer de faire disparaître cette évidence sous des tonnes de papiers imprimés, on ne pourra pas empêcher de faire un jour la lumière sur cette vérité.
Qu’un jour, la vérité vienne à disparaître, Brasillach en avait peur.
« Les siècles ne sauront pas la vérité. Les siècles ne sauront pas que nous nous aimions. Que nous étions pareils, et pareillement acharnés à sauver la terre paternelle, mais obligés de prendre l’un contre l’autre ce masque de colère et d’injustice. Ils croiront que nous nous sommes haïs, que nous nous sommes méprisés, alors que notre cœur n’était plus qu’un immense amour et de la plus totale compréhension. »
Mais les siècles sauront la vérité, si nous tâchons de ne jamais l’oublier.
Comme le bonhomme Job, « plenus sermonibus », la mort de Brasillach est là pour nous rappeler ce que c’est que faire métier d’homme. Lui qui avait senti avec prescience son destin, qu’il serait malgré tout de « ceux qui meurent un peu avant la trentaine », il a tracé un sillon sur notre route, pour nous ramener au pied du Calvaire. Grandeur de l’homme, misère de l’homme. Voilà ce qu’un Brasillach découvre dès que ses yeux se portent sur le spectacle du monde. Il nous rappelle que notre vocation est cette intime protestation contre la mort. Non pas notre mort, mais la mort de tout ce par quoi nous avons vécu. Il nous a rappelé la force de cette même mort, nous qui croyons en Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Il nous a rappelé l’importance du pardon, nous qui nous sommes indignés de son exécution. Il nous a rappelé « la difficulté des sentiments, mais la vérité des sentiments. »
A cette lueur tragique, à laquelle le lyrisme émouvant de ses poèmes avant l’échafaud a su donner une profondeur presque sereine, les textes de Brasillach s’éclairent. Son œuvre y prend si bien sa consistance que tout semble y agir de concert. Ces vérités nous guident dans ses écrits, au long de ses chemins de traverse, d’un pas sûr dans ses vagabondages secrets. Nous y avons trouvé la loi de l’amour, qui est le danger d’aimer des idées, l’incohérence d’aimer une force, et l’importance d’aimer des êtres. La jeunesse, le temps qui passe, les portraits de Perpignan et de Paris, tout en est le décorum. Car ce que Brasillach a écrit, ces milliers de pages qu’il coucha sur le papier, ces romans, ces critiques et ces portraits, nous transpercent tant dans cette unité, nous enchantent tellement dans leur harmonie, qu’ils nous semblent comme les notes d’un unique chant intérieur, où ses idées et ses thèmes semblables reviennent toujours en variation. Ce chant singulier à la jeunesse en basse continue, les Poèmes de Fresnes en sont l'interprétation en chant clair, toujours repris en voix de tête, une octave au-dessus.
Robert, admirable Robert ! Il est mort après avoir arraché dans la prière la paix intérieure. Nous lui devons le respect que mérite tout homme qui a obtenu de Dieu la grâce d’une bonne mort. Il a salué le destin avec amitié, il n’a fait qu’un avec sa propre course, même s’il n’en a pas aperçu tout de suite l’aboutissement lumineux. Dans un monde aux mots si usés, il nous a rappelé la puissance d’un sourire sur un berceau, comment voir le soleil même dans les sanglots, et comment nous garder de frémir à cette pensée qu' un jour peut-être la tempête dispersera nos cendres. Il nous a appris à conjurer une certaine haine, et à nous rappeler que c’est quand « la solitude, ou ce qui nous la presse et la prolonge, la mélancolie » nous étreint, qu’il ne faut consentir aucun abandon, protéger, sauver, transmettre le capital humain, tout reporter au bien général qui est le bien commun. Il nous a appris à nous jeter aux pieds de Dieu, à nous remettre à Lui avec espérance. Il nous a rappelé que c’est bien la seule dignité à avoir dans les tribulations.
Depuis ta mort, le monde a bien changé. Il n’y a plus dans Paris de marchands d’oiseaux. Le ciel y est sans étoiles, et nous voilà tous réunis auprès d’un feu, mendiant l’aumône de quelques étincelles. Ta mort en est une pour nous. En ce jour de février, pensons « à ceux qui meurent peu après la trentaine… ils apportent au monde l’exemple étincelant de leur vitalité, leurs mystères, leurs conquêtes. Hâtivement, ils montrent quelques routes à la lueur de leur jeunesse toujours présente. Ils éblouissent, ils interprètent, ils émerveillent… »
« En premier lieu mon âme est laissée
A Dieu qui fut son Créateur,
Ni sainte ni pure, je sais,
Seulement celle d’un pécheur. Puissent dire les saints français
Qui sont ceux de la confiance,
Qu’il ne lui arrive jamais
De pécher contre l'espérance. » (6)
Erwan
(1) Robert Brasillach, Domrémy, acte II, scène X
(2) Robert Brasillach, Présence de Virgile
(3) Robert Brasillach, Notre Avant-Guerre
(4) Robert Brasillach, Présence de Virgile
(5) Robert Brasillach, Notre Avant-Guerre
(6) Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes

Tombe de Robert Brasillach au cimetière de Charonne, à Paris.