Mégabassines : pourquoi la droite devrait s'y opposer
- Academia Christiana
- 17 avr. 2023
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Il y a cinq jours, le juge a validé le projet de construction de seize mégabassines dans les Deux-Sèvres. Celles-ci ont été mises en lumière par les affrontements survenus le 30 octobre dernier à Sainte-Soline. La place et le rôle spécifique de l'agriculteur dans un pays est le fond du problème soulevé par les mégabassines en général, et le chantier de Sainte-Soline en particulier. « Avec la mondialisation, explique l'Indienne Vandana Shiva, le paysan perd son identité sociale, culturelle et économique de producteur. Un paysan est aujourd'hui un "consommateur" de coûteuses semences et d'onéreux produits chimiques [engrais, biocides] que vendent de puissantes sociétés mondiales par l'intermédiaire de puissants propriétaires fonciers et usuriers locaux. »
En Europe, et en France tout particulièrement, on a contraint les agriculteurs à baisser leurs prix d'une façon déraisonnable afin de les rendre compétitifs sur le marché mondial et de garantir les marges des distributeurs. En contrepartie, pour qu'ils gardent la tête hors de l'eau, on les a mis sous perfusion de subventions dans le cadre de la Politique agricole commune. Ce faisant, on les a quasi-fonctionnarisés. En outre, on les empoisonne avec les produits phytosanitaires, occasionnant des tumeurs qui commencent à être reconnues comme maladies professionnelles. Ainsi, on a dopés les agriculteurs dans le cadre de la « Révolution verte » après-guerre, période d'industrialisation, pour ensuite les prostituer sur le marché mondial avant de les placer dans la dépendance de l'Union Européenne, ce doux maquereau dont l'aide à la production agricole constitue le premier poste de dépenses. Ou comment le libre-échange a entraîné la croissance de la bureaucratie.
C'est à ce prix, celui de la destruction de la paysannerie (un suicide tous les deux jours), que les dirigeants successifs ont édifié un système agro-industriel plus tourné vers le commerce international que vers l'autosuffisance : un fruit et légume sur deux consommé en France est importé. Dans un pays de Cocagne comme le nôtre, riche en terres fertiles et en diversité de terroirs, cette dépendance, qui met en jeu notre souveraineté, est contre-nature et aberrante. Les agriculteurs français sont triplement victimes du capitalisme libéral, de l'État-Providence et de l'inconscience de certains écologistes, qui, oubliant que les premières victimes des pesticides sont leurs utilisateurs, ne savent pas leur parler.
CE QUE DISENT LES RAPPORTS SCIENTIFIQUES SUR LES MÉGABASSINES

Le projet de seize futures mégabassines dans le Marais poitevin recevait, fin janvier, le blanc seing du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dans un rapport commandé par la la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres, dite « Coop de l'eau ». Mais ce travail est contesté par différents chercheurs qui relèvent, entre autres, que le BRGM, un établissement public, ne fait pas de projection climatique, ce qui est un peu gênant quand on veut évaluer la faisabilité du pompage des nappes phréatiques... En effet, son rapport est un modèle calé sur les années 2000-2010.
Or, de l'aveu même du BRGM, « cette période de référence ne permet pas de prendre en compte les conditions météorologiques récentes et encore moins futures (...) La prise en compte des évolutions climatiques, non simulé dans l’étude, est importante En effet, la récurrence de périodes de sécheresse hivernale pourrait conduire de manière répétée à des niveaux de nappe inférieurs aux seuils réglementaires, compromettant le remplissage des réserves certaines années ».
Par ailleurs, des chercheurs comme Christian Amblard, du CNRS, font valoir que l'eau stockée en surface s'évapore dans une proportion de 20 à 60% et que sa qualité se détériore au contact de l'air, causant l'apparition de micro-bactéries et d'algues. « C'est un contresens de créer des réservoirs d'eau en surface, explique-t-il. L'eau récoltée dans les réservoirs, c'est de l'eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d'eau. (...) Pour avoir une bonne gestion de la ressource en eau, il faut tout faire pour qu'elle s'infiltre dans le sol, il faut donc limiter l'usage du bitume et du goudron et favoriser la création de zones humides qui fonctionnent comme des éponges » Le chercheur ajoute que l'on doit conserver les arbres et développer un maillage de haies créant un climat local d'humidité. Le Marais poitevin devrait donc être sanctuarisé.
statu quo productiviste et crédit social

Les mégabassines sont une proposition court-termiste justifiant la fuite en avant de l'agriculture conventionnelle, toujours plus productiviste, gloutonne en eau, en engrais chimiques et en biocides qui détruisent les sols. Les mégabassines permettent également de ne pas remettre en cause le statu quo de la mondialisation agricoles. Cela contredit à angle droit le bon sens de la logique vivrière, qui conçoit l'agriculture comme l'activité nourrissant d'abord les habitants, c'est-à-dire les indigènes, et plus largement, nourrissant d'abord les hommes. En effet, les écologistes n'ont pas tort de considérer le gaspillage représenté par la consommation d'eau des cultures céréalières destinées au fourrage, à l'alimentation des bêtes élevées pour leur chair.
Jusqu'au milieu du vingtième siècle, manger quotidiennement de la viande était encore un luxe. Nous vivons comme des enfants pourris gâtés. Ce luxe aujourd'hui courant est un caprice de civilisation. La sobriété est-elle devenue une valeur de gauche, elle dont la table rase et l'illusion du progrès constituent pourtant le fond de commerce ? Quant à la droite, qui peste contre « l'immobilisme » des syndicats et de l'État-nounou, pourquoi s'obstine-t-elle à ne rien vouloir changer au fonctionnement de l'agro-industrie, tissé de connivences avec les cercles du pouvoir ? La FNSEA, qui défend bien sûr les bassines, est représentative d'un immobilisme qui ne gêne pas la droite réformiste.
C'est un système hors-sol auquel on espère faire gagner quelques années par des projets titanesques qui pénaliseront les petites exploitations. En effet, le paysan propriétaire d'un puits pourrait voir baisser son niveau d'eau à cause du pompage réalisé au profit de la mégabassine. De petits exploitants se verront ainsi contraints de prélever, dans la mégabassine, l'eau qu'ils puisaient autrefois sur leur terrain. On peut imaginer qu'en période de sécheresse et de restrictions - vouées à devenir habituelles, on soumettra les exploitants au « Pass Eau », et ils présenteront leur QR Code à l'entrée des retenues... À terme, les mégabassines seront l'un des volets de l'application du crédit social à la chinoise. Sous prétexte de mutualisation, on en arriverait à une perte d'autonomie pour les paysans, enrôlés dans un système d'irrigation basé sur une technologie entraînement fatalement une gestion bureaucratique destinée à croître au même rythme que l'appauvrissement des ressources. Même un libéral conséquent, attaché à la propriété privée, devrait s'opposer à ces mégabassines !
IL EXISTE DES ALTERNATIVES

Pascal Poot
La plus connue, et qui jouit de la promotion du gouvernement, est l'agriculture de conservation. Celle-ci permet de sauvegarder la santé des sols : par la restitution de l'azote, grâce au feuillage des légumineuses qui sert d'engrais ; au semis direct, sans labour, qui préserve l'activité biologique de la terre ; et par la rotation des cultures. Ce sont les trois piliers d'une agriculture économe en eau et en engrais. Si le gouvernement admet le recours aux pesticides, dont le glyphosate, dans le cadre de l'agriculture de conservation, rappelons que les dirigeants politiques n'ont pas le monopole de la définition des pratiques agricoles : rien n'oblige un agriculteur à suivre à la lettre un modèle homologué, il peut et doit tester différentes adaptations. Dans l'histoire du monde, le paysan a toujours cultivé selon son expérience. Ses gestes quotidiens contiennent un savoir-faire millénaire, répété de génération en génération, corrigé au besoin.
La « Révolution verte » des années 50, avec ses solutions en kit proposées par des industriels, a fait disparaître une grande partie de cette mémoire. Heureusement, d'autres ingénieurs, comme Lydia et Claude Bourguignon, aident les exploitants à sauver leurs sols et à reconquérir le savoir des anciens. Le débat n'oppose donc pas la science au simple refus des pesticides ou de la mécanisation. La science est partout, il ne s'agit pas de rejeter l'innovation, mais de la mettre au service d'une conception de l'agriculture tournée vers l'autonomie alimentaire, la santé des sols, et donc celle des hommes. Des pionniers, comme Pascal Poot dans l'Hérault, Marc Marcetti dans l'Essonne, cultivent déjà sans irrigation ni pesticide. Ils ont les honneurs du 13h de TF1 mais sont ignorés des Chambres d'agriculture et de l'INRA. On devrait leur remettre des médailles et transposer leurs pratiques en leçons. On peut aussi évoquer la ferme pédagogique du Bec Hellouin, en Normandie, qui pratique le bio-intensif.
C'est vers la systématisation de ces pratiques, diverses et adaptées au terroir, au climat local, que la France doit se tourner. Il existe déjà quantité de livres et d'études qui prouvent que l'agroécologie, c'est-à-dire l'agriculture biologique complète (ne se limitant pas à l'absence de phytosanitaire), pourrait nourrir la France et le monde*. Cela demande une décentralisation de la politique agricole, un véritable fédéralisme dans la politique de l'alimentation. Un État fort, libéré de l'hypothèque électorale (qui défait tous les cinq ans le travail accompli), pourrait engager un tel travail de planification.
* Jacques Caplat, L'agriculture biologique peut nourrir l'humanité, 2012. Entretien.
Marc Dufumier, L'agroécologie peut nous sauver, 2019.
Marie-Monique Robin, Les moissons du futur, 2012 (livre et reportage ARTE).
Julien Langella
oui je confirme, bien que je n'ai eu le courage d'aller jusqu'au bout de ce papier. On vous sait bon sur de nombreux sujet M. Langella. Restez donc dans votre zone de confort. Crier avec les loups n'est pourtant pas l'habitude de la maison...
J'ai de la sympathie pour votre mouvement mais là c'est pas possible...je suis obligé de répondre.
Je précise que je suis du milieu agricole bio.
Pour le rappel historique je valide si ce n'est qu'il faut mentionner que les exportations agroalimentaires en produits bruts ou transformés sont une contrepartie indispensable de notre approvisionnement en pétrole. Je vous refait pas un dessin je considère les démonstrations de Jancovici sur l'énergie comme acquises.
Pour les méga-bassines je vous renvoi vers ce thread twitter ( https://twitter.com/TerreTerre13/status/1560970341979226112) pour appréhender la nuance du sujet. Le passage sur les pass Qr-code à l’entré des retenues démontre combien vous ignorer tout du fonctionnement actuel des régies, quota et autre police de l'eau..C'est déjà taxer, surveiller, contrôler à…